L’avortement ou IVG, une liberté fondamentale pour toutes ?

Article : L’avortement ou IVG, une liberté fondamentale pour toutes ?
Crédit: Rob Bogaerts / Anéfo via Wikicommons
7 mars 2024

L’avortement ou IVG, une liberté fondamentale pour toutes ?

Comment parler du droit à l’avortement en France, en Europe et même plus globalement dans le monde sans parler d’elle, Simone Veil, qui aura dévouée une bonne partie de sa vie à faire du droit des femmes à disposer de leur corps son combat. Rescapée des camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen en mai 1945, cette grande figure politique française est à l’initiative de la loi Veil encore connue sous le nom de la loi relative à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Simone Veil / Rob Bogaerts / Anéfo via Wikicommons

A un pas de fêter son cinquantenaire, le droit à l’interruption volontaire de grossesse est loin d’être un acquis dans tous les coins et recoins du monde et même en France. Ainsi, autant que le 26 novembre 1974, le 04 mars 2024 représente désormais une date symbolique pour les droits des femmes en France. Le pays devient le tout premier du monde a inscrire l’interruption volontaire de la grossesse dans sa constitution. « La liberté garantie d’avorter » en France devient quasiment indéboulonnable, car bénéficiant désormais d’une protection constitutionnelle. Ce vote historique est à saluer quand on sait qu’outre Atlantique, le droit à l’avortement est refusé aux femmes dans certains Etats qui malheureusement se montrent très rétrogrades sur le sujet.

Carte des Etats des USA autorisant l’avortement en 2022 / Wikiidées1 via Wikicommons

Si la légalisation de l’avortement demeure inenvisageable dans certains Etats en raison du poids des traditions et des religions d’Etat très influentes, il n’en demeure pas moins que certains Etats se démarquent de leurs pairs trop conservateurs. C’est le cas du Bénin qui en 2021, a rejoint le cercle très fermé des pays autorisant l’interruption volontaire de grossesse sur le continent africain.

Dans un pays où les avortements clandestins occasionnaient des centaines de morts par année, la loi n° 2021-12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi n° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction, vient sauver les vies de nombreuses femmes qui ont durant trop longtemps rendu leur dernier soupir sous « l’arme » d’un avorteur, ou plutôt d’un éventreur. Cet article vous donne les raisons pour lesquelles le droit à l’avortement devrait constituer un droit fondamental dans tous les pays.

La reconnaissance du droit à l’IVG pour remédier contre les avortements clandestins

Et voici ce que rapporte Emma Goldman, la militante anarchiste, qui au tournant du siècle, exerçait la profession de sage-femme dans les bas quartiers de New York : « la plupart des femmes pauvres vivaient dans la hantise d’une grossesse. Lorsqu’elles se retrouvent enceintes, l’affolement les poussait à vouloir se débarrasser de l’enfant à naître [ …] en sautant du haut d’une table, en se roulant par terre, en se massant le ventre, en ingurgitant d’écœurantes mixtures et en utilisant des instruments contondants ».

Ces propos d’Emma rapportés par Edward Shorter dans son œuvre « Le corps des femmes », page 169 illustrent combien l’irréparable pouvait être commis lorsque le droit de réaliser une interruption volontaire de la grossesse était tout simplement dénié aux femmes.

Au Bénin, la raison phare évoquée par le gouvernement pour encourager les députés à adopter la loi n° 2021-12 du 10 décembre 2021 modifiant et complétant la loi n° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive est la multiplication des avortements clandestins auxquels il fallait impérativement mettre fin pour sauver la vie de nombreuses jeunes filles et femmes qui recouraient chaque année à cette pratique.

En effet, réalisés dans la plupart des cas par des non professionnels, des ʺbouchersʺ, les avortements clandestins conduisaient de nombreuses filles et femmes à la morgue. De même, lorsqu’elles faisaient elles-mêmes recours à des médicaments abortifs ou à l’auto-avortement, elles se vidaient de leur sang au point où mort s’en suive dans bien des cas.

Outre l’hémorragie, elles peuvent subir des perforations utérines, des gangrènes utérines, des nécroses vaginales et utérines en raison de l’utilisation d’instruments dangereux comme des tiges de toute sorte, des aiguilles à tricoter, etc. Les plus chanceuses traîneront à vie des séquelles, des mutilations ou une infertilité parfois irréversible.

Comment les incriminer de procéder à de tels actes lorsqu’aucune autre issue ne leur est offerte pour préserver leur vie ? Avant d’aller volontairement à ʺl’abattoirʺ, elles sont souvent conscientes des dangers auxquels elles se livrent.

Victimes d’une véritable torture sur la torture, d’abord en raison des souffrances psychologiques et mentales que peut occasionner une grossesse non désirée, elles doivent ensuite se préparer à la douleur physique parfois extrême découlant d’un avortement clandestin, qui plus est, est généralement effectué dans des conditions d’hygiène et de sécurité lamentables, voire inexistantes.

Dans le dictionnaire des féministes France XVIIIe – XXIe siècle, Gisèle Halimi raconte comment suite à un avortement clandestin (pose d’une sonde), se déclencha une hémorragie qui la conduisit en urgence à l’hôpital où le médecin pratiqua sur elle un curetage à vif en ces termes : « Comme ça, tu ne recommenceras plus ». Elle ajoute : « J’avais découvert l’oppression sous sa forme la plus barbare, et c’est cela qui m’avait traumatisée, bien plus que l’acte d’avorter lui-même ».

Gisèle Halimi / Marie-Lan Nguyen (Utilisateur:Jastrow) via Wikicommons

L’IVG pour renforcer le droit des femmes à disposer de leurs propres corps

Quel sort est réservé aux femmes violées, utilisées comme armes de guerres dans certaines régions, victimes de traitements inhumains ou dégradants ? Quid de toutes celles qui sont victimes d’incestes ? Sont-elles condamnées à vivre avec des grossesses non désirées et à donner naissance à des enfants dans un environnement délétère en raison d’une interdiction absolue du recours à l’IVG ?

Reconnaître aux femmes le droit à l’interruption volontaire de la grossesse permettra non seulement de sauver leurs vies, mais aussi de lutter contre la misogynie dont le dessin est de les opprimer et de les oppresser en leur refusant le droit de disposer de leurs propres corps. C’est donc le moment pour tous les gouvernants à la traîne sur la question de modifier leurs législations qui sont encore trop répressives.

Au-delà des femmes, c’est aux futurs nés et à leur intérêt supérieur qu’il faut penser pour éviter de créer un cycle vicieux qui in fine affectera, à des proportions bien plus importantes, l’ensemble du tissu social. Il est donc important d’écouter les femmes et de leur donner le pouvoir de décider par elles-mêmes et pour elles-mêmes parce qu’elles sont les principales concernées par une décision d’interruption volontaire de grossesse.

L’IVG pour offrir une seconde chance aux jeunes filles mères et aux femmes

Alors que les extrêmes se décrivant comme pro vie, pro famille ou anti-avortement montent en puissance dans le monde comme en Argentine avec le président Javier Milei qui souhaite revenir sur le droit à l’avortement dans le pays, il est impératif de renforcer les droits des femmes en leur accordant le droit de recourir à l’avortement.

Faut-il le rappeler, l’avortement a été légalisé en Argentine, ʺpays du papeʺ, avec une bonne frange de la population très catholique et plutôt conservatrice, après de nombreuses années de lutte et des débats difficiles au Parlement.

La légalisation de l’IVG a d’ailleurs entraîné de grandes manifestations partout dans le pays, entre deux camps, celui des pro-IVG et celui des anti-IVG. Outre le paramètre religieux, l’Argentine est membre du Pacte de San José « Convention interaméricaine des droits de l’homme » qui consacre dans son texte la vie depuis la conception. La légalisation de la liberté de recourir à l’IVG était donc loin d’être gagnée à l’avance.

Au Bénin, au regard des réticences et débats que la loi modificative encadrant l’avortement a suscité au sein de la société et même au sein de l’Assemblée nationale, il faut souligner l’audace du législateur béninois. En effet, l’article 17-2 de la loi dispose : « A la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître. »

Souhayr Belhassen via Wikicommons

La formulation de cette disposition laisse clairement transparaître la volonté des autorités béninoises d’adopter le régime le plus protecteur possible pour la femme. Ainsi, il est offert à la jeune femme collégienne, lycéenne ou étudiante, la possibilité de demander une IVG lorsque la grossesse représente manifestement pour elle une situation pouvant compromettre la poursuite ou la réussite de son cursus scolaire ou académique.

La grossesse étant susceptible de porter un coup d’arrêt aux études de la jeune fille ou femme, cette loi leur permet aujourd’hui de continuer à croire en elles et en leurs rêves après une grossesse précoce ou non désirée. Dans un contexte socioculturel où les mères célibataires sont encore pointées du doigt, l’IVG constitue pour elles parfois le rempart voire le dernier espoir de mener une vie normale.

Traitées de tous les noms d’oiseaux lorsqu’elles se retrouvent à élever seules un enfant et à assumer à la fois, le rôle du père et de la mère, elles doivent en plus supporter les railleries, les moqueries et les étiquettes que la société leur colle malheureusement à la peau. Ainsi, leur maternité ou leur parentalité peut très vite virer au cauchemar et devenir une charge mentale insupportable. Pour celles qui en ont le désir, une IVG semble alors être une solution pour continuer à vivre plutôt ʺnormalementʺ.

L’IVG relève assurément d’une question de santé publique car, même dans les pays où la pratique est autorisée, l’accès à l’avortement est loin d’être aisé. Entre la sous-information sur l’IVG et les méthodes de contraception, les conditions d’accueil pénibles et le manque de moyens des services hospitaliers, de nombreux problèmes persistent. Une volonté politique est donc indispensable pour réaliser des progrès sur l’interruption volontaire de grossesse.

Pour finir, « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant ». Comme une sorte de prémonition, Simone de Beauvoir avait vu juste surtout quand on constate aujourd’hui le virage qu’a pris le pays de l’Oncle Sam sur une question aussi primordiale que l’IVG. Plus que des mots, des parlottes et des journées internationales à n’en point finir, il faut véritablement agir pour le respect des droits de la femme qui sont des droits humains.

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