Les droits de la santé sexuelle et la planification familiale, grands oubliés des droits humains

Article : Les droits de la santé sexuelle et la planification familiale, grands oubliés des droits humains
Crédit: Photo de Emmanuel via Irawia
8 juin 2023

Les droits de la santé sexuelle et la planification familiale, grands oubliés des droits humains

Durant trop longtemps, les Droits de la santé sexuelle et reproductive (DSSR) ont été placardisés, oubliés des politiques publiques de santé et de développement tout simplement, car, emprisonnés dans un tabou. Que de mystères autour de ces droits qui pourtant sont tous autant importants que le droit à l’éducation, le droit au vote, le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, le droit à la liberté d’expression, etc. Jusqu’à quand les jeunes et adolescents devront boire le calice jusqu’à la lie en raison de leur droit à disposer de leurs corps ? Il est temps de sortir de ce mutisme dans lequel nous nous complaisons. Levons alors le voile sur les défis des DSSR et de la planification familiale !

Situer les responsabilités sur l’état des DSSR et de la planification familiale

Les DSSR sont les droits de la sexualité et de la procréation. Dans les Recommandations pour la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) après 2014 : santé et droits pour tous en matière de sexualité et de procréation, le Groupe de travail de haut niveau pour la CIPD de 2013 définit les droits en matière de sexualité et de procréation comme « Les droits de toute personne de prendre des décisions libres, informées et responsables et d’exercer un contrôle entier sur les aspects de sa vie privée-corps et sexualité, santé, relations avec autrui, liberté de se marier ou non, d’avoir ou non des enfants, et le cas échéant, choix du moment et du partenaire-sans s’exposer à quelque forme de discrimination, de stigmatisation, de contrainte ou de violence que ce soit...»

Nous pouvons donc comprendre que chaque individu doit pouvoir librement jouir de ses droits sexuels et reproductifs. Il doit être en mesure de prendre sans quelque pression extérieure les décisions personnelles liées à sa sexualité et à sa reproduction. De plus, les DSSR incluent le droit à la bonne information, à l’éducation et aux services adéquats en matière de santé sexuelle et procréative.

Alors, j’accuse l’école, la maison et la société en général, qui sont en grande partie responsables des tragédies qui surviennent lors des avortements clandestins qui s’opèrent sur des tables de cuisine et autres espaces délétères. Je pointe du doigt les gouvernants qui abandonnent les jeunes filles et femmes à la précarité menstruelle en leur déniant ainsi le droit à la dignité humaine.

Je pose aussi un regard accusateur sur tout ce beau monde lorsque les questions les plus élémentaires sur l’hygiène menstruelle, les méthodes de contraception, l’identité sexuelle, les minorités sexuelles stigmatisées… ont pour seule réponse un silence dissimulé sous de la gêne. Nous sommes tous coupables si nos jeunes et adolescents se retrouvent sans boussole et livrés à eux-mêmes dans leur quête de construction d’identité sexuelle, d’affirmation de soi et de développement.

Faciliter l’accès à l’information

« Ça ne te concerne pas » ! Ce fut la réponse cinglante que j’ai reçue lorsque, quelques années plus tôt, je demandais à mon père des explications sur l’un des téléfilms de sensibilisation aux droits de la santé sexuelle et reproductive que diffusaient l’office de radiodiffusion et de télévision béninoise (ORTB).

Une sage femme en consultation avec une jeune fille. Crédit : Iwaria

Je me rappelle encore de cette jeune fille en tenue kaki qui, après un test de grossesse positif, entreprit de l’interrompre en ingurgitant une forte dose de comprimés. Naturellement, quelques instants après, elle saigna à tel point que mort s’ensuit. Ce petit film de quelques minutes illustrait parfaitement la réalité que vivent de nombreuses filles et jeunes femmes. Alors, quelle quantité de sang devra encore couler ? Combien de morts devrons-nous encore compter pour faire bouger les lignes et mettre fin aux drames qui se déroulent trop souvent sous nos yeux ?

Garantir l’accès aux informations fiables sur les droits de la santé sexuelle et reproductive est inévitablement le premier pas à poser pour renverser la tendance mortifère qui prévaut actuellement. Et, c’est au sein du système éducatif que la bonne information doit être d’abord disponible.

Parler, c’est éduquer

Voilà pourquoi je ne comprendrai jamais les insurgés contre l’insertion de cours à l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires et académiques. D’ailleurs, pour leurs défenses, ils arguent qu’éduquer les adolescents à la santé sexuelle et reproductive serait les encourager à mener une vie sexuelle précoce. Quelle erreur ! Les informer sur les DSSR et la planification familiale, c’est plutôt les mettre face à leurs responsabilités.

C’est permettre à la fois aux garçons et aux filles d’exiger l’usage du préservatif avant tout rapport sexuel afin d’éviter de contracter une maladie ou une infection sexuellement transmissible. C’est leur éviter de se retrouver très tôt parents en raison d’une grossesse non désirée qui les contraindrait à se déscolariser et à hypothéquer ainsi leur avenir. C’est faire comprendre aux garçons que les menstrues ne sont pas exclusivement une question de filles et qu’il s’agit d’un phénomène physiologique qui les interpelle.

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Justement, parler d’hygiène menstruelle permet d’éduquer sur le fonctionnement du corps féminin et l’utilisation des protections hygiéniques. En discuter, contribue à débarrasser les personnes vivant avec leurs règles du sentiment de honte qu’elles peuvent ressentir durant cette période. La stigmatisation et l’exclusion n’ont pas lieu d’être !

Atteindre les ODD 3 et ODD 5

S’ils ont été pratiquement délaissés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), une place leur est accordée parmi les Objectifs de Développement Durable. En effet, les DSSR et la planification familiale sont au cœur des ODD 3 et ODD 5. 2030, c’est dans sept ans, mais déjà à l’horizon. Face aux barrières socio-culturelles et mêmes politiques auxquelles se heurtent les DSSR et la planification familiale, je me demande si nous réussirons le pari de réaliser les objectifs 3 et de 5 de l’agenda 2030.

Le premier est de permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être de tous à tout âge. Quant au deuxième, il est de parvenir à l’égalité des sexes et d’autonomiser toutes les femmes et filles. Mais comment pourrions-nous les atteindre sans réduire la mortalité maternelle, sans assurer l’accès de tous à des services de santé sexuelle et procréative ainsi qu’à la planification familiale ? Comment pourrions-nous aspirer au développement sans éliminer les pratiques néfastes comme la mutilation génitale, le mariage des enfants et le mariage forcé ou précoce ?

Nous sommes face à de véritables défis auxquels nous ne pouvons répondre qu’en mettant en place des dispositifs efficaces. Nous devons donc nécessairement mettre en place des centres d’écoute et de conseil à proximité des jeunes et ados afin de leur permettre de se faire accompagner par des spécialistes et professionnels des DSSR et de la planification familiale. De même, les services de santé sexuelle et reproductive adaptés aux adolescents et aux jeunes doivent être rendus gratuits. Cela contribuera à préserver leur santé et à les maintenir plus longtemps dans le système éducatif. L’avenir de notre pays en dépend !

Accroître les efforts pour une meilleure protection

Au regard de l’arsenal juridique qui est mis en place depuis quelques années au Bénin en faveur des droits sexuels et reproductifs, notamment la loi n°2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction, je ne peux qu’être satisfaite des efforts du Bénin pour garantir à sa population et particulièrement à sa jeunesse le respect de leurs droits liés à la santé sexuelle, à la procréation et à la planification familiale.

Je souhaite que nous allions plus loin en rendant gratuites les serviettes hygiéniques pour les personnes vivant avec leurs menstrues. A cet effet, les distributeurs de protections hygiéniques devraient être installés dans les lieux et espaces publics. Je décerne également un satisfecit à nos parlementaires pour l’adoption de la loi n°2021 -11 du 20 décembre 2021 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises à raison du sexe des personnes et de protection de la Femme en République du Bénin. Toutefois, les textes et lois en vigueur au Bénin doivent être largement vulgarisés pour une meilleure protection des droits humains.

Par ailleurs, il est important d’associer les autorités religieuses et morales de nos différentes localités pour que les différents efforts consentis aient un impact encore plus retentissant.

Arrêtons alors de jeter la pierre à nos jeunes lorsque nous manquons à nos obligations pour assurer le respect des DSSR et de la planification familiale. Il nous revient plutôt de créer les conditions favorables pour garantir leur épanouissement et leur émancipation.

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